Est-ce ainsi que les hommes vivent ?*
*Extraits du poème “Bierstube Magie allemande” d’Aragon paru dans le Roman inachevé, en 1956
C’est en 2023 qu’au Fipadoc, a été lancée l’année du documentaire, un honneur tout autant qu’un programme.
Pour nous, le documentaire se célèbre chaque année comme une entêtante ritournelle.
Depuis notre dernier rendez-vous, le cœur des humains est mis à mal par des fracas de tous ordres : solitude, guerres, pollution des esprits, des corps, de la nature. La planète documentaire reflète les interrogations sur ce non-sens dans lequel semble tourner la planète.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Pas seulement. Les humains et les documentaristes qui les filment, chérissent trop la vie pour en rester là. Elles sont donc aussi dans notre sélection ces lucioles qui s’entêtent à éclairer au milieu de la nuit.
Ce sont des silences captés par des confidents attentionnés (La Mère de tous les mensonges, Un pasteur, Le Dernier Visiteur ou Les Oubliés de la Belle Étoile).
Des paroles libérées dans la joie (Sauna Sisterhood) ou dans la nostalgie (Mémé).
Et aussi des odyssées picaresques et rigolardes, comme Les Aventures de Guirec et Monique, où les icebergs de l’Arctique remplacent les moulins de la Manche, et où une poule placide tient lieu de Rossinante pour un Don Quichotte Youtubeur ; ou quand l’esprit de Joseph Kessel semble réincarné dans trois journalistes pieds nickelés, partis chevaucher la géopolitique dans l’Afghanistan de 2002 (Riverboom).
Des histoires d’amitié et de sororité célèbrent l’intelligence collective et l’énergie des femmes restées longtemps dans l’ombre. Ainsi des exploits des footballeuses de la première Coupe du Monde féminine (Copa 71) qui ouvriront notre sélection Olympiadocs à l’occasion des JO de Paris 2024. Ainsi du talent de compositrice au prénom resté inconnu pendant deux siècles (Fanny, l’autre Mendelssohn)…
Les femmes iraniennes se sont levées contre l’étouffement de leur existence-même et contre la violence inique de la police des mœurs. Nous leur rendons hommage dans la sélection (Fils de mollah et Jina Mahsa Amini) et au Casino de Biarritz avec Femme Vie Liberté, une exposition d’œuvres graphiques iraniennes où la couleur défie l’ordre noir des religieux. Un message plus fort que les geôles qui retiennent la journaliste Prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, à qui nous dédions cette exposition.
Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin est une œuvre en réalité augmentée, qui nous plonge dans le premier acte de résistance civile et pacifiste à la ségrégation posé par une jeune fille noire en 1955. Une présentation événement dans un décor construit spécialement qui permet d’expérimenter physiquement ce moment où une collégienne a tenu tête aux lois absurdes de son époque en Alabama.
Chant révolutionnaire ou résistant, Bella Ciao éclate, dans son berceau l’Italie, comme partout dans le monde, quand l’injustice gronde. Il ouvrira notre festival et le Focus Italie qui montrera la créativité toujours vivace de nos voisins transalpins au service d’histoires d’oliviers, d’acrobates et même d’intime narré par le maitre Marco Bellocchio.
Et puis, parce que le documentaire reste le miroir de son temps et des temps anciens, il ne peut se passer une édition du Fipadoc sans que plusieurs œuvres suivent la longue trace de sang laissée par les hommes, d’hier à aujourd’hui : des premières folies coloniales (Congo-Océan) au dernier génocide du XXe siècle (Une des mille collines), c’est tout naturellement que le documentaire rejoint l’actualité brûlante d’une guerre toujours en cours, en témoignant du martyr ukrainien dans 20 jours à Marioupol, un film de référence en route pour les Oscars.
Il y en aura une nouvelle fois pour tous les goûts, des films à voir en famille, de jeunes talents à découvrir ainsi que des papilles à stimuler grâce à notre Goût du doc.
Chaque année vous, notre public chéri, vous démontrez une curiosité, un esprit critique, un amour du réel qui abondent dans notre conviction que le temps long et la sincérité des regards des documentaristes constituent une pierre angulaire de l’information. C’est pourquoi les États généraux de l’information feront escale à Biarritz pour vous rencontrer et vous écouter.
Vive le doc ! Vive le Fipadoc !
Éditorial by Anne Georget & Christine Camdessus, presidente & déléguée générale du Fipadoc