LES MOTS DES JURYS 2025

Grand Prix Documentaire international
BLACK BOX (BLACK BOX DIARIES) de Shori Itô
Très admiratifs de la ténacité et du courage qu’il a fallu à la jeune journaliste japonaise Shiori Itô pour briser l’omerta et faire éclater la vérité sur les violences que lui a fait subir un proche du premier ministre de son pays, et profondément émus par le récit cinématographique à la première personne qu’elle en a tiré, récit qui rend compte avec une grande sincérité des nombreux obstacles qu’elle a dû surmonter tout au long de son combat, des peurs, des pressions, de ses moments de doute et de fragilité, nous avons décidé d’attribuer, à l’unanimité, le Grand Prix Documentaire international du Fipadoc 2025 au film Black Box.

Grand Prix Documentaire national
BOSCO GRANDE de Giuseppe Schillaci
Les images se figent instantanément dans le crâne : un corps gigantesque, immobilisé sur un lit dans une toute petite pièce dont il occupe presque toute la place ; une trappe qui s’ouvre sur un système de poulie par lequel on fait descendre une pizza qui s’effondre sur le sol ; un chat gris-blanc qui cherche son maître entre les bouteilles de bière vides. Des images qui provoquent chez le spectateur un mélange compliqué de comique et de désespoir, d’amour et de dégoût, des images inédites comme on attend que le cinéma nous donne à voir. Giuseppe Schillaci a filmé des mois durant son ami Sergio, tatoueur et pilier d’une communauté d’anciens punk de Palerme, plus ou moins abîmés par la vie, et dont les existences restent solidaires. Un homme énorme à tous les points de vue, avec ses quelques 250 kilos et son amour inconditionnel pour ses amis et une mère pourtant très ambivalente. Le film donne à voir ce quartier de Bosco Grande au ras d’un trottoir, avec un regard volontiers myope, et qui tire de cette focale une justesse particulière dans la représentation des marges sociales et culturelles.

Grand Prix Documentaire musical
SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT de Johan Grimonprez
Dans la lutte de nombreux pays africains pour reprendre en main leur destin, face aux intérêts économiques et géostratégiques des anciens colonisateurs et des deux grands blocs Est/Ouest, la figure de Patrice Lumumba se dresse comme un symbole. Dans Soundtrack to a Coup d’État, son combat et son assassinat ici racontés à travers l’engagement mais également l’instrumentalisation des plus grands artistes de jazz de l’époque. En véritable actrice du drame qui se joue, la musique occupe un espace inédit, fondamental. Rayonnante de puissance sensuelle, de colère et de liberté, elle est tressée avec des archives et témoignages d’une incroyable richesse dans un montage à la fois audacieux et virtuose. La note (souvent bleue), le verbe et l’image font de ce documentaire un moment à la fois bouleversant et édifiant. Fascinant et troublant aussi, jusque dans ses ambiguïtés (la jovialité de l’opportuniste Khrouchtchev). Et, gageons que la batterie de Max Roach et le cri d’Abbey Lincoln résonneront longtemps dans le cœur et le corps des spectateurs.

Grand Prix Documentaire Impact
YINTAH de Jennifer Wickham, Brenda Michell & Michael Toledano
En décernant le Prix Impact à Yintah, nous souhaitons saluer une œuvre qui nous a profondément touchés par sa puissance narrative et son intensité unique. Ce documentaire exceptionnel, fruit de dix années de travail, de Jennifer Wickham, Brenda Michell et Michael Toledano, nous immerge au cœur de la résistance des Wet’suwet’en, un peuple autochtone vivant à l’ouest du Canada, contre la construction d’un pipeline menaçant des terres ancestrales. Aux côtés de femmes guerrières aux mains nues, le spectateur vit de l’intérieur, l’affrontement inégal entre un peuple qui refuse de disparaître et l’implacable rouleau compresseur de l’impérialisme économique, nullement freiné par les dirigeants politiques pourtant censés préserver le vivant. La réalisation cinématographique, avec une mise en image subtile et haletante, un son ciselé, crée une immersion totale, rendant palpable le contraste entre le fracas des machines industrielles qui mutilent la terre et les chants ancestraux de l’humanité. Yintah, qui signifie « terre » en langue wet’suwet’en, est un électrochoc. Une source d’inspiration qui souligne l’urgence de l’action et démontre la force de la mobilisation collective qui traverse les générations. Ce film incarne parfaitement l’esprit du prix Impact, en montrant que la résistance est un feu qui se partage et s’allume notamment dans l’obscurité des salles de cinéma.

Prix Sacem de la musique originale
LE VEILLEUR (THE WATCHMAN) de Lou du Pontavice & Victoire Bonin Grais
Le prix Sacem de la musique originale est attribué à la musique du film Le Veilleur, composée par Camille El Bacha, pour le choix de l’instrumentation, la qualité de l’interprétation musicale et la place originale de la musique dans le film et la manière dont elle évolue au diapason du récit. Grâce à ces choix affirmés, la musique devient un véritable personnage du film et c’est une qualité rare qui mérite d’être soulignée par ce prix attribué à l’unanimité.

Prix Droit humains en action
PAPA (TATA) de Lina Vdovîi & Radu Ciorniciuc
En décernant à Tata le Prix Droits humains en action, notre jury souhaite honorer le travail et l’engagement de Lina Vdovîi et Radu Ciorniciuc, qui à travers ce récit intime, sincère et bouleversant, mettent en lumière avec une justesse rare la question des violences intra-familiales et l’exploitation des travailleurs invisibles en Europe. Grâce à un dispositif narratif subtil mêlant caméra cachée et cinéma direct, Tata nous plonge tant dans la réalité brutale des ouvriers exploités dans les domaines viticoles italiens, esclaves contemporains, que dans les nœuds familiaux toxiques qui se transmettent de génération en génération. Le film ne s’arrête toutefois pas au constat et porte un véritable combat : celui de briser les chaînes de la reproduction de la violence, de dénoncer les défaillances des institutions – administratives ou religieuses – et d’appeler à une prise de conscience collective.
À la croisée de l’Italie, de la Moldavie et de la Roumanie, Tata transcende les frontières et nous rappelle, avec une force saisissante, que les droits humains sont un enjeu collectif urgent, ici et maintenant, au cœur de l’Europe. Par sa subtilité, son courage et sa sensibilité, il ne s’agit pas seulement d’un film qui interpelle : c’est une œuvre qui invite à ne pas se résigner.    

Prix des jeunes Européens
À NOS CŒURS QUI MURMURENT (MURMURING HEARTS) 
deVytautas Puidokas
Le film primé cette année remonte aux origines de la violence. Il s’agit d’une histoire profondément personnelle et pourtant universelle sur les frustrations liées au fait de n’appartenir à aucun endroit, qui se déroule dans la campagne lituanienne reculée. Le film est intime, original et d’une grande beauté. Certaines de ses images frôlent la magie et n’ont cessé de nous hanter tout au long du processus de délibération. Nous saluons le courage de l’auteur et son sens de la poésie dans la réalité. Le prix est décerné à Murmuring Hearts de Vytautas Puidokas.

Prix du court métrage
ÉCHAPPÉE BELLE (EXIT THROUGH THE CUCKOO’S NEST) de Nikola Ilić
Être « libre » et « fou » pour un jeune homme en temps de guerre, en refusant de prendre une arme, puis raconter son histoire sous forme de confession cinématographique demande beaucoup de courage. Un film qui impressionne par le besoin honnête et urgent du réalisateur de partager son histoire avec le public, tout en combinant habilement une variété de techniques pour créer un style visuel authentique au service de l’histoire. Le jury a décidé de décerner le Prix du court métrage au film Échappée belle, de Nikola Ilić.

Prix Jeune Création
CONFESSION de Rebeka Bizubová
Un film dans lequel l’urgence de raconter cette histoire est indéniable. Sans dramatiser ni forcer la narration, nous ressentons une tension tout au long du film. Pourtant, le film reste subtil, doux et calme. La réalisatrice est à la fois vulnérable, courageuse et forte, utilisant la caméra comme un outil pour affronter la réalité et combattre ses démons. Le film dévoile un dialogue dans lequel la protagoniste tente de reprendre le pouvoir et les mots qui lui ont été confisqués. Une scène impressionnante comme on n’en a jamais vue auparavant. Ce film est sincère, vient de l’intérieur et est authentique. Bien que cette histoire soit très personnelle, le film est universel, car il aborde des questions sociétales importantes dont nous devrions tous parler. Nous pensons que ce film peut avoir un impact considérable et qu’il vous touchera et vous donnera des moyens d’agir.

Prix Tënk
POURVU QUE CA DURE (MAY IT LAST) de Louise Chauchat
Certaines enquêtes peuvent se faire en faisant ses courses à la supérette. Celle qui nous occupe ici se fait au téléphone, à coups de vocaux, de sms ou d’appels en direct. Elle se fait en caméra embarquée, au plus près de l’enquêtrice-réalisatrice, de sa table de nuit ou de ses courgettes cuites à la poêle. On y parle de ses amours, et on y parle donc évidemment de nos amours, à tous et toutes, et de tout ce qui n’est pas forcément simple là-dedans. Certaines enquêtes peuvent être d’ordre intime et personnel, et pourtant parler à tout le monde : d’un microcosme qu’on aurait pu imaginer excluant, la cinéaste parvient, par son humour et sa sincérité, à nous embarquer pleinement. Ce n’est pas qu’une petite histoire : c’est aussi toute une histoire de famille, et certainement une histoire de générations. Les histoires de couple, c’est souvent du bricolage, alors la réalisatrice bricole, elle fabrique un film fait de peu de choses et d’inventivité. On est avec elle, on se reconnaît ou pas, on écoute avec elle ses podcasts, on attend – ou pas – le texto de l’amoureux : c’est un film entièrement en caméra subjective. Louise Chauchat se montre et ne se montre pas, dans Pourvu que ça dure. C’est le titre de ce film entraînant, libre, léger et grave, auquel nous sommes ravis de décerner cette année au nom de Tënk, la plateforme du cinéma documentaire, le prix Tënk-Fipadoc de la jeune création !
Ce prix que nous remettons consiste en un achat de droits svod pour une diffusion de quatre mois sur Tenk.fr, ainsi que de 500 euros destinés à la réalisatrice. Nous avons hâte de faire découvrir ce film à nos abonné·es !

Prix Smart
HUMAN VIOLINS de Iona Mischie
Une corde de violon devient fil barbelé, donnant vie à une œuvre vibrante et poignante. Son esthétique, à la fois épurée et riche, marque par son originalité. La profondeur de la lumière intensifie l’émotion de la narration. Cette création souligne avec force l’importance de l’art, et surtout de la musique dans nos vies – comment elle nous touche, nous élève et nous apaise.

Prix Découverte Michel Mitrani
BLACK BOX (BLACK BOX DIARIES) de Shori Itô
Nous avons décidé de récompenser le premier film de la journaliste et réalisatrice japonaise Shiori Itô, Black Box Diaries. Une première œuvre magistrale, bouleversante, qui affronte le tabou du viol, de son viol, dans une société japonaise en plein déni. Auteure et sujet de son film, la réalisatrice se met en scène avec un courage extraordinaire pour dénoncer son bourreau et documenter son combat judiciaire, sur fond d’abus de pouvoir et de corruption de la justice. Un combat qui va déchirer le voile du silence dans la société japonaise, et un film dont la parfaite maîtrise formelle signe la naissance d’une grande réalisatrice.

Prix Ciné+
THE FLATS, APPARTS A BELFAST (THE FLATS) de Alessandra Celesia
Dans une mise en scène qui invite à l’imaginaire tout en vie à des personnages merveilleux et profondément attachants, fidèles à leur identité et à leur réalité, ce film nous transporte avec talent au cœur de l’histoire traumatique d’un quartier de Belfast sauvé par la consolation des petits bonheurs du quotidien. Les blessures du passé restent douloureusement ouvertes, mais l’espoir et l’attachement à la famille et aux amis demeurent inébranlables, renforçant une combativité formidable qui nous rappelle que les guerres, même perdues, ne tuent pas l’envie de vivre.

Prix PFDM
SOUDAN, SOUVIENS-TOI (SUDAN, REMEMBER US) de Hind Meddeb
Nous saluons ici le travail de Hind Meddeb. La réalisatrice choisit de mettre en image l’espoir d’une jeunesse en lutte pour sa liberté. Sa proximité, son intimité avec ces jeunes Soudanais éveillent une empathie profonde pour leur révolution. Avec pour seules armes, leurs poèmes et leurs chants. La réalisatrice les filme de nuit comme si l’obscurité les protégeait des militaires. Il faut bien du courage pour filmer comme pour manifester. Le film raconte la force du combat pour la liberté et nous engage à ne pas l’oublier !

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